En coulisses avec Éric Le Brun, des éditions Light Motiv
Comment vous est venu l’idée de travailler dans l’édition ? Avez-vous toujours eu envie de travailler dans ce domaine ? Pourquoi avoir créé votre propre maison d’édition ?
Nous, en tant que maison d’édition spécialisée dans la photographie, c’est plutôt lié à notre histoire, du moins à mon histoire de photographe. En 2003, je crois, j’ai été publié dans un livre et j’ai trouvé que ça ne s’était pas très bien passé… Et ça a été comme un déclic. Comme je connaissais bien les concepts de chartes graphiques, je me suis dit : pourquoi ne pas tenter aussi de lancer une maison. L’idée m’était venue de créer une maison d’édition où les photographes seraient mieux considéré·es que ce que j’avais pu vivre. Je me suis d’abord exercé sur plusieurs livres collectifs dans les années 2000 et on va dire que la maison d’édition est vraiment née en 2011.
Quelle est la ligne éditoriale de votre maison d’édition et comment celle-ci se démarque-t-elle ?
Évidemment dans un champ éditorial comme le nôtre, dans une région où il n’y a pratiquement pas d’autre maison sur la photographie, on peut dire qu’elle se démarque naturellement puisque c’est celle où il y a le plus d’images photographiques. Par contre, on note qu’il existe une cinquantaine de maisons d’édition sur la photographie en France. C’est, de plus en plus, des maisons qui cultivent ce genre éditorial particulier qui, pour nous, est vraiment déconnecté du livre d’art. L’idée est de créer une narration grâce à ce que la photographie peut entraîner comme perception à la lecture. C’est comme ça que ça se crée et que ça se compose. Et de plus en plus souvent, dans notre maison en tout cas, c’est relié à du texte. C’est ce qui permet, peut-être, d’avoir à la fois une ouverture qu’on n’aurait pas forcément trouvé tout seul en lecteur, mais surtout ça peut créer une sorte d’harmonie, comme un arrangement musical entre l’image et le texte.
« L’idée m’était venue de créer une maison d’édition où les photographes seraient mieux considéré·es. »
Quel livre avez-vous préféré éditer ?
Plusieurs, beaucoup de paramètres rentrent en ligne de compte ! Ce qui peut jouer, ça peut aussi être la relation avec le photographe ou l’écrivain, qui est une relation formidable qui parfois fait naître une amitié. Je trouve ça super au niveau humain.
En terme de qualité, c’est difficile évidemment pour moi de comparer, mais ce que je peux dire c’est que lorsqu’un·e auteur·ice rentre dans la maison d’édition – et ce n’est pas si courant que ça en photographie – on essaye de suivre sa progression. On va retrouver le premier livre par exemple qui était celui de Naoya Hatakeyama en 2011, et on en est bientôt au quatrième titre qu’on va sortir l’année prochaine, et à chaque fois c’est une rencontre très intéressante à chaque étape.
Quelle est votre dernière sortie ?
Alors la dernière sortie, c’était La maison sans toit qui fait partie de la collection Singulière.
On a fait appel à deux autrices, une photographe et une écrivaine, et on a essayé de favoriser le croisement entre leur travail, en inventant une nouvelle façon de faire parce qu’on s’adapte, mais l’idée est de croiser de façon serrée les langages photographiques et littéraires. Ça a donné précédemment le premier livre avec Annie Ernaux et Nadège Fagoo, Une autre fille. Là, La maison sans toit, c’est un ouvrage où l’écrivaine part sur une sorte d’enquête policière et vaguement métaphysique à partir d’une sélection de photos que la photographe lui a envoyée sur une maison abandonnée au Mexique.
« L’idée est de croiser de façon serrée les langages photographiques et littéraires. »
Et vos prochaines parutions ?
Incompiuto. À paraître dans quelques jours, juste avant les Rencontres d’Arles parce que pour nous c’est un moment important avec le public.
Là c’est un livre politique, enfin… Je pense qu’on va essayer dans les années à venir d’investir de plus en plus des partis pris comme celui-là. On s’est engagé sur des thématiques soit environnementales, soit sociales. Ici, c’est un livre sur l’étrange phénomène des bâtiments inachevés en Italie. On peut trouver ça surprenant mais en réalité c’est du détournement d’argent ! Plus d’un millier de grands édifices en Italie sont inoccupés ou abandonnés en cours de construction, que ce soit de grands hôpitaux, des tours de bureaux, des autoroutes… Tout ce qu’on peut imaginer, tout ce qui est en fait des structures nécessaires pour le développement de régions souvent pauvres.
On termine cet ouvrage avec un éditeur italien donc c’est une co-édition et on a demandé un texte à Roberto Ferrucci sur la situation, sur le contexte économico-politique de l’Italie. Les photographies sont assez extraordinaires parce qu’elles nous montrent des objets urbains, des bâtiments qui sont comme des ovnis dans un paysage qui n’a rien à voir avec eux et c’est comme si le temps s’était arrêté autour de ces endroits inhabités.
Quelle est votre dernière lecture ?
Je lis toujours 5 ou 6 livres à la fois donc c’est toujours délicat de se dire « qu’est-ce qui m’a vraiment marqué en ce moment. » C’est vrai que, par exemple, j’ai lu tout Annie Ernaux récemment. En fait, ce qui a de fabuleux avec le métier d’éditeur, c’est que ça nous rapproche à chaque fois soit d’écrivains, soit de photographes dans notre cas, soit de sujets qu’on n’aurait sans doute jamais été explorer sans notre métier. C’est aussi cela que j’aime dans mon travail, c’est que d’un coup ça ouvre une sorte de malle de livres et on plonge dedans. Après, ce n’est pas forcément des livres, parfois on regarde des documentaires et ça, j’adore plonger dans une thématique pendant le temps de gestation d’un ouvrage. Donc à chaque fois j’essaye, surtout quand on choisit un·e écrivain·e, de lire d’autres ouvrages de cette personne avant qu’on ne l’édite. Mais si je devais retenir une lecture récente, il y en a quand même une qui m’a énormément marquée, c’est une écrivaine avec laquelle j’aimerais beaucoup travailler, c’est Ultramarins de Mariette Navarro.
Propos recueillis en marge de la Foire du Livre de Bruxelles.