En coulisses avec Philippe Zytka

En coulisses avec Philippe Zytka des éditions Inukshuk

Comment vous est venu l’idée de travailler dans l’édition ? Avez-vous toujours eu envie de travailler dans ce domaine ? Pourquoi avoir créé votre propre maison d’édition ?

Je suis venu dans le monde du livre un peu tardivement puisque j’ai commencé en étant scénariste de bandes dessinées. J’ai fait un petit peu d’auto-édition et de là, je suis passé à l’édition un peu plus traditionnelle. Je me suis rendu compte que certains ouvrages de copains auteurs que je pouvais croiser à droite, à gauche, ou bien d’ouvrages de jeunesse et notamment d’artistes des Balkans n’étaient pas traduits en France alors que c’était des véritables petites pépites. Je me souviens avoir dit à un de mes amis en découvrant un de ses albums « écoute, si je deviens éditeur un jour, je publierai ton album ». Finalement c’est le deuxième album que j’ai publié : La bête noire et j’adore ce livre. Donc c’est un peu comme ça que je suis devenu éditeur mais non, moi ce n’est pas une vocation comme on pourrait dire. Ma seule vocation par contre, c’est de raconter des histoires par l’image. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé : j’ai fait une formation de photographe à la base, j’ai travaillé dans l’audiovisuel, j’ai fait du documentaire, du film institutionnel.  Et puis lorsque j’étais adolescent, j’avais une caméra super 8 et on faisait des films avec des potes. L’idée, ça a toujours été de raconter des histoires par l’image, qu’il s’agisse de l’animé, du cinéma, de la vidéo ou enfin, par la bande dessinée.

J’ai commencé en étant scénariste de bandes dessinées et puis à un moment il y a un album qu’on a envie de faire, auquel on tient particulièrement, dont les éditeurs ne veulent pas donc on se dit pourquoi pas l’auto-éditer. Ça c’était il y a 10 ans. Donc j’ai fait un album comme ça en auto-édition, j’en ai fait un deuxième avec un copain. Et puis c’est tout un cheminement, un concours de circonstances qui a fait qu’à un moment j’avais travaillé sur un projet qui avait été publié en Serbie… et on s’est posé la question avec l’éditeur local d’imprimer des albums en version française que je vendrais lorsque j’étais sur les festivals et les salons. Le projet était tellement beau, il y avait une dimension qui nécessitait une vraie structure pour le porter parce qu’il prenait de l’ampleur et comme ça me trottait dans la tête, finalement la maison d’édition s’est faite un peu comme ça. 

C’est vraiment un concours de circonstances, tout un tas de petits accidents qui font que je suis arrivé là. Finalement, ce sont des routes qui convergeaient vers un point parce qu’aujourd’hui je suis très bien, je m’éclate à faire de l’édition, j’adore ça.

Quelle est la ligne éditoriale de votre maison d’édition et comment celle-ci se démarque-t-elle ?

Alors, chez Inukshuk éditions, on fait de la bande dessinée. La ligne éditoriale, c’est avant tout le plaisir et l’envie de faire découvrir des livres. C’est-à-dire qu’on va avoir autant de l’Histoire que de la SF et de l’aventure. On a aussi un petit catalogue jeunesse qu’on développe depuis quelques années parce qu’on se rend compte que ça fonctionne bien. Inukshuk, c’est une maison d’édition qui est auto-diffusée et auto-distribuée. Dès le départ, on a fait ce pari là d’essayer d’économiser sur un poste qui, pour nous, n’amène aucune valeur ajoutée au livre et de pouvoir ainsi mieux rémunérer les artistes. À titre d’exemple, les auteurs chez nous sont entre 14 et 16 %, ce qui est plutôt pas mal. 

« Je me souviens avoir dit à un de mes amis en découvrant un de ses albums Écoute, si je deviens éditeur un jour, je publierai ton album. Finalement c’est le deuxième album que j’ai publié : La bête noire et j’adore ce livre. »

Quel livre avez-vous préféré éditer ?

En fait, pour continuer un petit peu sur la ligne éditoriale, moi, je travaille au coup de cœur. Je fais deux, trois bouquins par an, mais je ne fais vraiment que des bouquins que je vais avoir envie de défendre et avec des gens avec qui j’ai envie de travailler, où je sens que ça va matcher, qu’on va pouvoir travailler ensemble. 

Quelle est votre dernière sortie ?

La spécificité un peu d’Inukshuk, c’est de dire qu’on va défendre les bouquins. Et ça, en en faisant deux ou trois par an. Ça veut donc dire que les livres qui ont été publiés il y a six ans, ils sont encore avec moi sur les stands. C’est-à-dire que je les défends de la même manière.

Donc je n’ai pas de livre préféré ! Là, sur cette année on a deux projets qui sortent : un dans quelques semaines pour le 80e anniversaire du débarquement et un autre qui sortira en septembre. Ce sont deux projets historiques, un peu similaires dans la manière de se faire et qui ont été vraiment des projets enthousiasmants à réaliser. On a travaillé avec plein de gens, c’était de la BD historique donc il a fallu se documenter, être très rigoureux et ça a vraiment été un plaisir. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient envie que ces deux livres soient vraiment les plus réussis, les plus aboutis possible. On se fait plaisir – c’est d’ailleurs le mot qui revient souvent quand je parle de ma maison d’édition : l’idée, c’est avant tout de se faire plaisir.

Qui vient de paraître, il y a Pegasus qui est un collectif autour des troupes aéroportuaires britanniques au moment de la bataille de Normandie et qui est sorti pour le 80e anniversaire du débarquement. C’est un livre pour lequel on a eu un gros calendrier –  c’était très chouette. C’est un album sur lequel on a travaillé pendant deux ans, il y a une grosse fatigue qui s’est accumulée mais qui vient de partir avec l’album qui a été livré. Et puis il y a une autre fatigue qui s’annonce, parce qu’il va falloir aller le défendre et le vendre !

« C’est l'histoire d'un petit chaton, des gags sous forme de strips et qui fonctionne vachement bien. »

Et vos prochaines parutions ?

2024 est une année un peu charnière, c’est-à-dire que c’est la première fois qu’on fait de la création. D’habitude on récupérait des droits ou on faisait de la traduction. Même dans ce cas, il faut savoir que tout ce qu’on faisait n’avait jamais été publié en France. À chaque fois les bouquins d’Inukshuk sont des livres qui n’ont jamais été publiés sous forme d’album en France. Et ça c’est un truc auquel je tenais, même si on sera peut-être amené à récupérer des droits pour faire des compléments éditoriaux de choses qui sont dans notre catalogue. Enfin voilà, en 2024 on a quatre ouvrages qui vont sortir et c’est quatre créations. Ça veut dire un risque financier assez important. Même si on travaille en financement participatif, cela ne couvre jamais à 100% l’investissement : on paye les auteurs en avance, on leur verse des droits d’auteur qui sont pas mal comme je disais. Mais ça va le faire, on va y arriver. 

 

Quelle est votre dernière lecture ?

Des livres qui m’ont marqué ? C’est très très dur. Alors, ça se rapproche de la passion que j’ai pour la Seconde Guerre mondiale, la bataille de Normandie et les Anglais. Je me souviens avoir lu en CM2, l’instituteur avait fait des groupes de lecture et j’étais parmi les meilleurs lecteurs, il nous avait donné à lire un livre qui s’appelle Chassy s’en va en guerre. C’est l’histoire d’un petit gamin anglais des faubourgs d’une ville au sud de Londres qui, un jour, récupère un pilote allemand blessé et le cache dans un bunker qui a été à moitié détruit par les bombardements. J’avais une petite nostalgie, un très bon souvenir de lecture de ce livre et il y a une quinzaine d’années j’ai eu envie de le relire mais il n’est plus du tout édité. 

 

Ces dernières années, je lis pas mal de thrillers, de polars. J’ai beaucoup aimé deux livres d’Olivier Norek qui est un auteur de polar assez connu. Le premier s’appelle Surface, qui est un polar avec un personnage féminin de gendarme qui est vraiment très très fort. Il y a une vraie ambiance, des vrais personnages bien écrits et ça m’a vraiment marqué. Et le deuxième, un polar mais un peu plus dur encore qui s’appelle Entre deux mondes qui se passe dans la jungle de Calais et pareil qui est vraiment puissant.

 

Et puis Les Trois Mousquetaires comment ne pas parler des Trois Mousquetaires qui est mon livre préféré aussi. Pour les gens de ma génération qui ont lu Les Trois Mousquetaires c’est nos Avengers à nous. Et c’est ce que je dis d’ailleurs quand je suis en salon quand je dédicace les albums ou que je présente. Il y a des gamins de 8, 9, 10, 11, 12 ans qui viennent et les parents me disent « il ne lit pas de la BD, il regarde des films » je dis « mais t’aimes quoi, t’aimes Superman, Batman, les Avengers ? » et bien moi j’avais mes Avengers à l’époque et ça s’appelait Les Trois Mousquetaires. Je l’ai dit à des dizaines de gamins et si sur ces dix, il y en a quatre qui ont lu Les Trois Mousquetaires, je considère que j’ai fait ma part ! 

Propos recueillis en marge de la Foire du Livre de Bruxelles.