En coulisses avec Dominique Brisson

En coulisses avec Dominique Brisson des éditions Vous êtes ici

Comment vous est venu l’idée de travailler dans l’édition ? Avez-vous toujours eu envie de travailler dans ce domaine ? Pourquoi avoir créé votre propre maison d’édition ?

 

J’ai toujours travaillé dans l’écrit puisque j’étais journaliste. Je me suis toujours intéressée à l’écrit, à la narration. Et puis, ensuite, j’ai publié des albums et des romans pour la jeunesse, pour Syros, Nathan, La Martinière… Et là, tout en continuant d’ailleurs d’être journaliste et de faire du multimédia, j’ai eu envie de faire le métier d’éditrice, pour combler une espèce de frustration que j’avais en tant qu’autrice. Je trouvais que, même si j’adore écrire, qu’à partir du moment où le texte était écrit dans l’édition classique que je connaissais des grands éditeurs parisiens, le texte nous échappait d’une certaine manière.

Le meilleur moment pour moi c’était quand je travaillais avec mes éditrices et qu’on avait un travail très constructif sur le texte : elles me donnaient leur ressenti, elles me faisaient des propositions, elles me posaient des questions. J’avais vraiment la sensation de dépasser ma propre version et que le texte avait vraiment grandi après ce travail-là. Et après, j’avais l’impression que ce n’était plus mon texte. Je comprends pourquoi depuis que je suis devenue éditrice mais finalement on est assez peu consultés sur la couverture. Quand on fait un roman, à la limite ça va, mais quand on fait un album, que le texte est complètement soutenu par un illustrateur… c’est très difficile, je trouve, de ne pas être au moins consulté.

Et puis surtout j’étais très intéressée par tout le processus de création, de fabrication et même de commercialisation du livre. Donc, disons que le fait d’être autrice avait attisé ma curiosité, qui n’était peut-être pas un but depuis que j’avais 5 ans mais qui a grandi depuis que j’étais autrice. 

Ce que je voulais, moi, c’est faire tout : avoir une approche totale, artisanale. Pourquoi je n’ai pas été salariée d’une maison d’édition ? Ce n’est pas que je voulais être la patronne, mais c’est le seul moyen quand même de toucher à tout. Et puis surtout, créer sa propre maison d’édition, c’est créer une ligne éditoriale, c’est créer un univers. On ne se rend pas forcément compte, au départ, de tous les enjeux que ça a mais c’est énorme et c’est passionnant. Ensuite, comme j’ai toujours aimé faire ça, j’ai plutôt travaillé par collection. Et c’est vraiment super de créer des collections, j’adore ça. Donc non, je n’avais pas d’autre solution que de créer ma boîte.

 

Quelle est la ligne éditoriale de votre maison d’édition et comment celle-ci se démarque-t-elle ?

Disons qu’elle est en mutation, là. Pour résumer, au départ j’avais conscience que je n’aurais pas de diffuseur et qu’il allait falloir que je m’auto-diffuse. Je me suis dit que j’allais faire simple et que j’allais plutôt essayer déjà de travailler sur le territoire des Hauts-de-France. La question du sujet en lien avec les Hauts-de-France m’a paru à peu près logique mais c’est là où ça a été subtil et compliqué. Parce que ce que je voulais c’est que mes livres aient aussi un intérêt universel ou au moins national.

J’ai créé des collections qui pouvaient avoir un lien de façon plus ou moins frontale avec la région. Mais je ne voulais pas apparaître comme une maison d’édition régionaliste. Pour moi, ma collection de romans c’était de la littérature contemporaine. Et les autres collections : les collections de récits, les collections de documentaires… c’était des livres qui pouvaient et qui devaient même être intéressants pour n’importe quel territoire. Mais comme je ne diffusais que dans la région c’était ce qui était mis en avant.

Et ensuite, petit à petit, j’ai commencé à ne plus pouvoir assumer la diffusion toute seule donc j’ai pris un diffuseur. Et là, je me suis rendue compte que c’était compliqué. J’ai un diffuseur national, mais on a tendance à me parquer dans le régionalisme. Et donc, je suis en train de travailler là-dessus, sans tout bouleverser, pour m’affirmer plus comme un éditeur généraliste.

Ça demande un peu de temps pour que les libraires comprennent, prennent un peu le tournant, me connaissent ailleurs qu’en Haute-France. C’était un petit peu une fausse bonne idée, je crois, au départ. Mais en même temps, c’est super intéressant de travailler cet aspect-là.

Alors, justement, comment elle se démarque, c’est une bonne question. On cherche tous à se démarquer. Par exemple, je n’ai jamais voulu faire de régionalisme mais j’ai toujours pensé qu’il fallait faire des livres qui soient beaux. Donc depuis le début on a quand même travaillé l’objet. La couverture est faite avec de beaux papiers, du papier de création, quelque chose d’un petit peu épuré. Sur ça, on se démarque par rapport aux éditeurs régionalistes, il n’y a pas de doute. On veut plutôt toucher une espèce de classicisme.

Ensuite, ce n’est pas particulièrement voyant mais je m’intéresse beaucoup au mode narratif. Alors là, par exemple, c’est très clair : des livres sur Colette, des livres sur La Fontaine, des livres sur Verne, il y en a plein. Mais comme les nôtres, il n’y a que nous. C’est-à-dire que nous on fait des miscellanées, c’est vraiment l’originalité de nos livres. Et en fait, cette originalité de chercher comment on peut travailler sur le traitement narratif, sur le rapport à la lecture, faire de la vulgarisation de très bonne qualité mais quand même accessible en travaillant sur l’image, en travaillant sur des textes courts, en travaillant sur des approches : ça ne se voit pas forcément, il faut nous connaître. Le travail sur la narration et sur l’objet, on n’est pas les seuls à le faire mais ça reste quand même ce qui tentent de nous démarquer. 

« C'est-à-dire que nous on fait des miscellanées, c’est vraiment l'originalité de nos livres. Et en fait, cette originalité de chercher comment on peut travailler sur le traitement narratif, sur le rapport à la lecture, [...] ça ne se voit pas forcément, il faut nous connaître. »

Quel livre avez-vous préféré éditer ?

Oui, là, c’est vraiment délicat parce qu’on me demandait ça aussi en tant qu’autrice. Quel est votre livre préféré ? Et moi, je disais, j’ai envie de le dire, mais c’est comme les enfants ça ne se fait pas.

 

Il y a des livres que j’ai aimé pour des raisons différentes. Il y a eu des livres étapes. Par exemple, c’est totalement objectif, le livre de Lucien Suel : Angèle, le syndrome de la wassingue, c’est le premier roman des éditions Cours toujours. C’est un texte magnifique. Et là, c’était vraiment un très, très bon moment dans la maison.

 

Quelle est votre dernière sortie ?

 

Les deux dernières parutions de Cours toujours sont dans la même collection. La collection Tout sur ou presque : Tout sur Colette ou presque et Tout sur Camille et Paul Claudel ou presque. Et c’est super intéressant d’avoir sorti ces deux livres-là à un mois d’écart, qui sont des personnages de la même époque. Ils se connaissaient d’ailleurs avec Colette. C’est très intéressant parce que ce sont des personnages très forts, très importants dans la vie littéraire et artistique. Et en même temps, ce sont des univers créatifs, personnels, intimes à l’opposé quasiment. Ça, c’est vraiment la grosse parution du printemps 2024.

« C’est un album qui est vraiment fait pour réfléchir sur ce qu’est grandir et comment on peut s’émanciper et exister en toute conscience, en toute liberté sur notre planète. »

Et vos prochaines parutions ?

On va sortir un roman à l’automne dans La vie rêvée des choses justement. Et c’est important pour moi parce que justement je parlais du tournant, de la mutation un petit peu, en douceur. Dans la collection La vie rêvée des choses, ce sont des romans qui ont comme pitch un objet, une fiction, un auteur bien installé.


Il se trouve que cet objet, dans un premier temps, était un objet du Nord (la wassingue, la gaufre…). Je vais quand même garder le concept parce que je le trouve intéressant. Les auteurs sont inspirés par ça. Mais à partir de maintenant dans cette collection l’objet n’est plus un objet du Nord : c’est un objet. Il y aura donc Mario Alonso, qui a fait Watergang au Tripode l’année dernière avec un énorme succès et qui va publier chez nous Femme de cabane.

 

Propos recueillis en marge de la Foire du Livre de Bruxelles.